Critique:
On a beau le critiquer, le tourner en ridicule, se moquer ses outils mercantiles pompeux, le studio DreamWorks Animation reste une usine à dessins-animés encore capables de nous étonner comme ils l'avaient fait avec FOURMIZ, l'une des meilleures plongées dans le monde insecte avec un casting vocal étourdissant. Une énorme surprise qui brillait par son ton adulte, satirique et audacieux, qui se plaçait ainsi non pas en concurrence mais en complément de Pixar en pleine ascension. Seulement, les films d'animation étant un domaine où chacun se doit de battre l'autre, DreamWorks s'est rangé du côté de la 3D en tentant à chaque fois de retrouver son public. Chose faite avec la trilogie (et bientôt plus) SHREK, saga faite pour réunir le plus de fric possible en dépit de la qualité du troisième opus mitigé. Cependant, ses films d'animation étant plutôt réussis et ses coproductions tout aussi jouissives (WALLACE & GROMIT et FLUSHED AWAY avec Aardman), la filière a continué à attirer les spectateurs. Mais il fallait évidemment un miracle pour croire qu'il allait revenir dans le droit chemin sans tomber dans le déjà-vu (voir les polémiques sur les sorties de 1001 PATTES/FOURMIZ et LE MONDE DE NEMO/GANG DE REQUINS). Et BEE MOVIE l'est assurément. Le film n'est pas parfait, est loin de la qualité visuelle de RATATOUILLE ou de n'importe quel Pixar, mais on passe un moment agréable, se concentrant sur la personnalité d'un Dieu comique (Jerry Seinfeld, créateur du sitcom qui a cartonné absolument partout) pour changer le ton qui redevient d'office beaucoup plus réfléchi.
BEE MOVIE commence de la façon la plus simple possible, presque dérisoire pour un film en partie imaginée par Jerry Seinfeld avec le soutien financier du grand Steven Spielberg (remember l'un des meilleurs teasers jamais fait pour un film d'animation) et scénaristique d'experts en la matière puisqu'ils sont tous issus de SEINFELD. Nous présentant ainsi l'entrée à la vie adulte de Barry B. Benson, jouant ainsi sur la durée de vie hilarante des abeilles (tout se compte en heures et en jours) dans un monde fait de noir, de jaune et de miel, Seinfeld s'efforce de garder en tête que son personnage est un marginal qui ne veut pas se fondre dans la masse, énième version du personnage animé qui hante les pellicules depuis longtemps, et même depuis FOURMIZ. A la différence que l'humour est plus subtil, plus dialogué et plus imaginé que le reste, recréant une ruche de façon moderne et presque mécanique, permettant ainsi de mieux montrer la déception de Barry lorsqu'il doit choisir le même boulot et faire le même travail jusqu'à sa mort. Les abeilles travaillent toutes pour une seule chose: fabriquer du miel, faire des enfants, et ne jamais prendre de jour de repos pour ne pas être en sus de leur matière favorite. Un constat plutôt original puisqu'il prend des éléments vérifiés dans les ruches artificielles et dans les études des scientifiques, tout en injectant une dose d'humour dans les travaux disponibles et dans la relation de Barry avec le reste du monde, notamment son ami Adam qui est une parfaite petite abeille en herbe. Barry rêve donc de découvrir le monde et va s'enfuir, malgré les interdictions des ses parents, s'infiltrant ainsi dans une bande d'abeilles nées pour récolter le pollen et protéger les différentes espèces de fleurs à Central Park. Commence alors une sorte de seconde partie du film à l'intérieur de la première, classique mais efficace, où Barry fait connaissance de la belle Vanessa lorsqu'elle lui sauve la vie au moment où son petit-ami très temporaire voulait l'écraser avec ses chaussures. Brisant ainsi le pacte de silence entre les deux espèces (mais ne faisant pas de ce facteur une faiblesse scénaristique, laissant l'histoire se dérouler tranquillement), il tombe amoureux de cette femme si charmante et si passionnée pour finalement découvrir, à un moment aussi merveilleux de sa vie, que le miel est revendu par des compagnies qui le volent à des abeilles trompées par les ruches artificielles (et vivant dans des appartements tous identiques et glauques).
C'est là que la force humoristique du film intervient avec vigueur, puisqu'au film d'amour très étrange mais aussi très drôle (voir l'hilarante partie de tennis au ralenti puis la visite de New-York façon accident de voiture) succède un film de procès bien plus intelligent qu'il n'y paraît, posant ainsi des questions de morales sur le bien et la liberté des autres, même si ce ne sont que des insectes. Le fait qu'ils soient personnalisés par des voix et des tons proches des attitudes humaines fait que l'on y croit plus que d'habitude, même s'il s'agit bien entendu d'une parodie de ce type de films et de personnages, comme ce gros avocat de la Cour qui tente de séduire le jury à travers ses monologues pompeux et ses raisonnements invraisemblables. Mais ce qui justifie avant tout un tel enchantement, c'est dans le refus des conventions des deux réalisateurs qui nous offrent un bonheur adulte et des références culturelles particulièrement agréables pour ceux qui peuvent les replacer dans le contexte: après un rêve dynamité par une explosion qui tue la bien-aimée de Barry dans un accident d'avion, on a le droit à une émission "insecte" du Larry King Show où Barry se rend compte de tous les clichés du présentateur qui pratique une auto-parodie croustillante (il est juif, pose toujours les mêmes questions, a un ton agressif, se tient en avant, ...), à des célébrités comme Sting et Ray Liotta qui sont accusés de vol (le premier pour le nom "Sting" et le miel pour le second), à une petite blague de Barry qui ne fait rire que lui (il entame son discours par un "Bzzzz Bzzz" qui remet en question la capacité de parole qu'ont les abeilles) et autres petits délices comme les apparitions croustillantes de Ken, dont le ton abruti et crétin ne peut que faire rire le spectateur (surtout lorsqu'il revient à deux reprises dans l'appartement de Vanessa pour finir sa phrase). Et le mieux arrive lorsque Barry gagne son procès et que toutes les abeilles du monde deviennent des insectes paresseux, égocentriques et avares, ne voulant pas partager un miel qui fait du bien à l'écosystème de par son processus de création.
Cédant malheureusement à une morale gentillette et une fin franchement limite (non pas que l'idée d'un détournement d'avion par une abeille est mauvaise) à cause de son côté expédiée réellement troublant, laissant les abeilles reconstruire le monde en 2 secondes chrono alors qu'on aurait pu penser que Seinfeld n'allait pas céder à ce moyen de happy-end pompeux en laissant le temps aux choses magnifiques de réapparaître, prouvant qu'une erreur met du temps pour se réparer. C'est ce qui sera l'une des grosses faiblesses du film, outre son absence totale d'ambition quelconque, si ce n'est reposer sur l'excellent doublage d'acteurs qui se sont prêtés au jeu de l'improvisation et du doublage en groupe, chose rare pour les films d'animation. En résultent des scènes excellentes et très bien écrites entre Jerry Seinfeld et son timbre si particulier (il ne part jamais dans l'énervement) et ses premiers choix de casting particulièrement judicieux. Jugés plutôt: Renée Zellweger en protectrice des insectes sexy, Matthew Broderick en abeille déterminée et posée, Chris Rock en moustique "cool" aux réflexions bien choisies sur sa condition de suceur de sang, John Goodman en avocat de la Cour qui incarne le mal et la justice (pas de bad-guys gonflants chez les insectes donc), Kathy Bates et Barry Levinson (le réalisateur de RAIN MAN qui adore les petits rôles comme dans quelques Mel Brooks) en parents attentionnés mais ronflants ou encore Rip Torn en commandant. Et même chez les caméos et les acteurs moins connus, l'équipe y va plutôt fort, pusique l'on retrouve en plus de Larry King, Sting et Ray Liotta (dans une parodie des AFFRANCHIS jouissive) Oprah Winfrey en juge, Patrick Wartubon (MEN IN BLACK 2) dans la peau de Ken et Jim Cummings (éternel doubleur chez Disney) en narrateur au timbre de voix si particulier. Le tout est baigné dans une bonne ambiance et un enchaînement des répliques bien particuliers et propre aux styles de l'auteur qui a donc placé dans ce film tout ce qu'il aimait, ne se contentant pas de doubler son double digital (qui ne lui ressemble pas du tout, chose plutôt rare chez DreamWorks).
BEE MOVIE est donc un film très sympathique, qui remplit son quota de rires adultes dès son introduction, et qui se permet aussi une approche différente de la consommation à travers le vol de miel à grande échelle. Un sujet risqué porté haut la main par un acteur que l'on espère plus en forme sur son prochain essai, notamment à cause d'une fin qui fait retomber les films sur les voies du film d'animation classique à la morale facile. C'est implicite certes, mais c'est bien dommage.