Kanye West (Graduation)

Le pari musical le plus stupide de l'année vient de notre ami 50 Cent, l'homme qui a su couler le rap dans ses derniers retranchements avec un sens du marketing douteux: "Si Kanye West vend plus d'albums que moi, j'arrête ce métier !". En effet, le hasard a voulu que le rappeur sorte son CURTIS en même temps que l'autre grand favori des musiques entraînantes et fiévreuses, le GRADUATION de Kanye West. Résultat ? Plus d'un million d'albums vendus pour le second, soit quelques milliers de plus que Curtis qui se ridicule d'interviews en interviews, visiblement désespéré. Il devrait l'être, car malgré tout son ego gonflant et ses crises de nerfs hilarantes aux MTV Music Awards, West a sorti un album absolument génial qui m'oblige à reprendre cette rubrique restée dans le fond des caisses depuis pas moins d'un an.

Pour ceux qui nee le connaîtraient pas encore, le rappeur/producteur de Ludacris et Alicia Keys a été derrière deux gros cartons qui nous ont entraînés pendant pas mal de mois récemment, distillés sur ses deux excellents premiers albums: le fameux JESUS WALKS REMIX de JARHEAD et surtout GOLD DIGGER, un hit particulièrement jouissif avec en guest Jamie Foxx (période "je me la pète grave"). Au fil des semaines, l'attente s'est faite de plus en plus rude, avec des diffusions temporaires de quelques morceaux de GRADUATION, mais tout ce buzz valait entièrement le coup: West signe sûrement son album le plus dense, le plus jouissif et parfois même le plus sincère qui soit, sans renier ses influences blacks ni son impact sur les générations musicales qu'il produit. Le contraste est tel que, au rythme des 13 chansons, on se demande si nous ne sommes pas dans un trip qui mélangerait toutes les influences du monde et des époques pour faire un mix intriguant et toujours fascinant, allant de l'explosion des instruments aux chansons plus intimistes. Un croisement osé et pourtant très réussi, comme le prouve quelques balades instrumentales hautement recommandables: GOOD MORNING et son choeur fascinant, le thème au piano de I WONDER (à se pleurer dessus !), THE GLORY et le morceau de clôture BIG BROTHER qui va sans cesse crescendo. Bizarrement, les quelques faiblesses de l'album se situent lorsque Kanye s'associent avec ses protégés pour faire du "classique", dans la lignée de son GOLD DIGGER en beaucoup moins entraînant: outre DRUNK AND HOT GIRLS en collaboration avec Mos Def avec dont le titre en dit beaucoup, GOOD LIFE se révèle bien trop classique pour emporter le morceau (même si la piste instrumentale est dantesque), Lil Wayne gâche la dernière partie de BARRY BONDS avec sa voix insupportable, FLASHING LIGHTS a le cul entre deux chaises, et EVERYTHING I AM n'est pas aussi bonne que le reste (jolie mélodie, mauvais DJ).

Cependant, malgré ses quelques petits défauts, GRADUATION reste un album dantesque. Pourquoi ? Tout simplement grâce à quatre morceaux anthologiques, dont deux qui ont fait le tour du monde en début d'année. D'abord l'énorme STRONGER, croisement volontaire entre Daft Punk (collaborateur) et Eminem, qu'il faut écouter de toute urgence tant il révèle la puissance démoniaque de Kanye West lorsqu'il se déchaîne. A côté de cela, cet immense foutoir qu'est CAN'T TELL ME NOTHING apparaît comme moins culte mais tout aussi entraînant, avec son refrain génial et ses percussions bizarres. Mais la surprise vient de deux autres petites merveilles CHAMPION et son envolée lyrique sans précédent, et HOMECOMING, qui nous tirerait presque une larme après 12 pistes aussi bonnes. Un morceau qui fait aussi bien penser à Manu Chao qu'à Jay Z, d'où une force dynamique incroyable et une sensation de jamais vu. C'est finalement la marque de fabrique de Kanye West, le seul rappeur capable de nous sortir des albums toujours aussi géniaux malgré ses prises de tête et sa fortune éblouissante incontestable.